Trouble de personnalité limite

Entre héros
et bourreau

À Laval, la psychiatre Claire Gamache et l’infirmière Natalie Ménard ont développé une expertise pour diagnostiquer et traiter les patients aux prises avec le trouble de personnalité limite (TPL). À leurs yeux, il manquait toutefois une ressource pour accompagner les femmes en marge de leur traitement.

Avec l’aide d’autres professionnelles et de bénévoles, elles travaillent actuellement à la création de la Maison 100 limites, un lieu de séjour et de partage pour les femmes aux prises avec un TPL.

Cette maison n’est pas encore construite, mais déjà, tous les mardis, des femmes se réunissent dans des locaux qui leur sont prêtés. Pas question de ne parler que de TPL : elles organisent des activités pour socialiser et elles s’investissent elles-mêmes dans le rêve d’amasser les fonds suffisants pour concrétiser leur projet. Elles y trouvent en attendant un endroit où elles peuvent être elles-mêmes.

La semaine dernière, tout juste avant une soirée de jeux de société animée, La Presse a rencontré quelques-unes de ces femmes.

Qu’est-ce que vous venez chercher ici, exactement ?

Véronique : Toute ma vie, j’ai fonctionné sans savoir ce que j’avais. J’ai réussi à mettre en place des mécanismes de défense pour passer au travers de la vie, mais ça vient de me péter dans la face. […] Venir ici, ça m’aide beaucoup à passer au travers. À me comprendre.

C’est un long processus ?

Véronique : C’est l’enfer.

Sophie* : On est différentes. Différentes dans tout ce qu’on dit, dans tout ce qu’on fait, dans tout ce qu’on est ! Le monde te regarde de travers quand tu es TPL ! On monte dans les rideaux ! En tout cas, moi, je suis excessive. Je le vois des fois qu’il faut que je me calme le pompon… Je ne peux pas être moi-même.

Vanessa : C’est épuisant comme trouble. On est toujours dans les extrêmes. Par exemple, souvent, le matin, je veux sauver le monde et le soir, je veux mourir. On se fait souvent reprocher de se présenter à l’urgence avec l’envie de mourir. Ils nous retournent à la maison parce qu’il n’y a rien à faire avec nous… Ils disent qu’on est TPL, que ça va passer. Dans le moment, par contre, l’envie de mourir est sérieuse ! C’est comme si on était notre propre héros et notre propre bourreau en même temps.

Sophie : Les gens ne comprennent pas pourquoi je veux me suicider. Mais ils ne comprennent pas ce vide que j’ai en dedans…

Vanessa : Exact. Moi, c’est comme si j’avais le corps brûlé à la grandeur. Que tu me touches pour me flatter ou que tu me touches pour me donner une claque, ça me fait la même affaire. Ça crée une espèce de tempête !

C’est difficile d’expliquer ce que vous vivez à vos proches ?

Stéphanie : On ne le comprend pas nous-mêmes, des fois. Ça fait deux ou trois ans que j’ai le diagnostic, et je ne suis pas certaine que ma famille le comprenne. Oui, on connaît les TPL plus explosives, mais moi, je suis tout le contraire. […] Un jour, tu te ramasses à l’urgence, et personne ne l’a vu venir.

Marie-Claude Messier (intervenante) : On l’a dit souvent, il y a 50 nuances de TPL…

Vanessa : C’est peut-être pour ça qu’on n’a pas de ressources adaptées ! C’est un trouble tellement large…

Au quotidien, ce doit être difficile…

Sophie : J’ai perdu mon emploi après 15 ans de services. Je me souviens, quand je devais aller rencontrer ma patronne dans son bureau, même pour une banalité, j’en avais pour 48 heures à m’en remettre !

Vanessa : Quelqu’un de normal qui a de la peine… il a de la peine. Moi, j’ai de la peine de la racine des cheveux jusqu’aux orteils ! C’est la même chose quand c’est quelque chose d’heureux ! Il faudrait que je saute en parachute tous les jours !

Marie-Claude Messier : Pour être passées à travers tout ça, les filles ont des forces et des compétences phénoménales. Ce sont des filles créatives et convaincantes ! L’énergie pour sauver le monde, il y en a ! On regarde comment on peut utiliser ces forces-là pour recréer le noyau qu’elles n’ont pas eu.

Des forces qui vous aident dans le projet de Maison 100 limites ?

Vanessa : En tout cas, si tu as besoin que je donne 100 % de moi-même, moi, je vais t’en donner 180 %, 200 % ! Mais ma force est aussi ma faiblesse.

Véronique : On est hypersensibles. […] Je peux voir si quelqu’un va péter sa coche même si tout a l’air de bien aller ! Ici, je vois qu’il y en a beaucoup qui ont ce sixième sens !

Vanessa : J’ai hâte qu’on ait notre propre maison ! Je n’y croyais pas, au départ, parce que personne ne veut travailler avec nous autres. Ils nous voient à l’urgence et ils se disent : « Ah non ! pas encore une ! » Ils ne savent pas quoi faire avec nous !

Marie-Claude Messier : Tu veux dire qu’on va te référer à une place pour traiter la dépendance, une autre pour traiter ton estime et tes traumatismes… Tu n’es jamais vraiment à ta place quelque part. Il faut penser à une place où l’on répond à toutes ces fragilités en même temps.

Stéphanie : Oui ! Ici, c’est la première fois de ma vie où l’on me fait confiance et où on mise sur mes forces. Je me sens à ma place. J’avais peur qu’on me demande juste de faire des choses parce que je suis TPL…

Comme quelque chose de faux ?

Stéphanie : Oui. J’ai besoin de savoir que ce que je fais c’est vraiment utile. Maintenant, je canalise mon énergie dans quelque chose de positif. C’est quand même fou : depuis que je viens ici, je ne suis pas retournée une fois à l’hôpital. Avant, j’étais là tous les deux mois environ.

Vanessa : Les blessures sont là, mais on choisit de ne pas les raviver tout le temps. On fait autre chose.

Véronique : En fait, on travaille nos forces !

* Toutes les femmes rencontrées ont témoigné sous leur vrai prénom, à l’exception de Sophie.

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